mardi 28 octobre 2008

Guerre et Paix, Roger Martin du Gard, Dreyfus

Viennent d'être publiés deux essais sur lesquels je reviendrai dans un prochain billet.


La NRF entre guerre et paix 1914-1925

Yaël Dagan-Tallandier





Ils liront dans mon âme-Les écrivains face à Dreyfus
Etienne Barilier-Editions ZOE


dimanche 26 octobre 2008

... perseverare diabolicum



André Gide assis lisant un livre en compagnie d'un autre homme.

vendredi 24 octobre 2008

Ecrivain oublié


Oublié des lecteurs, cela est un peu moins vrai -du moins nous l'espérons- suite aux récentes publications du Journal, de la Correspondance Générale et grâce à la pugnacité de l'Association de Amis de Roger Martin du Gard.

Mais totalement ignoré, il l'est, par les Archives photographiques de la médiathèque de l'architecture et du patrimoine. En témoigne cette photo de Marc Allégret dont la légende est :

André Gide lisant un livre à un homme allongé.

Lu par...

"La question reste posée de savoir si Les Thibault sont ou non le plus grand roman du XXème siècle" . Quelle authenticité accorder à ces propos rapportés par Roger Stéphane ? (André Malraux Premier dans le siècle-Les Cahiers de la NRF 1996, p. 88).
Roger Martin du Gard et André Malraux se rencontrent pour la première fois en août 1928, au cours de la décade de Pontigny dont le thème était " Jeunesse d’après-guerre, à cinquante ans de distance (1878-1928)". Nous proposons de retenir quelques extraits de la lettre qu’André Malraux adresse à son aîné peu après son entrée dans le " catafalque de la Pléiade ". "J’ai eu le sentiment d’être en face d’une œuvre à laquelle l’écrivain avait voué sa vie, qu’il pouvait se dire, comme Flaubert, que ca en valait la peine […] Surtout j’ai eu le sentiment de joie que l’on éprouve lorsqu’un écrivain nous semble avoir fait ce qu’il devait faire (au sens profond) […] Camus à dit ce qu’il fallait et l’a bien dit […] " (Journal T. III p. 106-1067).

Plus près de nous, Jean d’Ormesson admet dans son dernier ouvrage : "Je n’ai aspiré ni à être Chardonne […] ni à imiter Mauriac […] ni à rivaliser avec Martin du Gard, dont Les Thibault ont enfiévré ma jeunesse jusqu’à me précipiter […] au 45, rue d’Ulm." (Qu’ai-je donc fait - Robert Laffont 2008, p. 74). Déjà dans " Dans une autre histoire de la littérature française " l’académicien veut " […] trouver pour chaque écrivain un mot, un seul, qui le résumerait tout entier. Ce serait le désir pour Gide, l’alternance pour Montherlant, le soir pour Lamartine… Ce serait la probité pour Roger Martin du Gard, romancier de haute stature et un peu oublié […] "(Nil éditions, p. 265).

mardi 21 octobre 2008

Conseil Général de l'Orne

Les Archives Départementales de l'Orne mettent Roger Martin du Gard à l'honneur. Une exposition réunissant photos et documents originaux est organisée à Alençon du 27 octobre au 19 décembre 2008.

6-10, avenue de Basingstoke - 61000 Alençon
Du lundi au vendredi de 8h30 à 17h30 (sans interruption)
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samedi 18 octobre 2008

Le cahier gris

Dans l'édition originale de la première partie des Thibault, Roger Martin avertit ses lecteurs :

" J'aurais laissé paraitre cet ouvrage sans avertissement si j'avais pu le présenter dans sa totalité. Mais publier d'un coup un roman de huit ou dix volumes (1), c'est une extravagance que ne peut se permettre, de nos jours, un éditeur sensé (2), si haut qu'il tienne sa firme au-dessus des sollicitations commerciales.
Il faudra donc débiter cette oeuvre par tranches, à quelques mois d'intervalle. Je prie le lecteur de ne pas chercher un tout dans chacun de ces fragments successifs, et d'accepter provisoirement ce qui, faute d'une vue d'ensemble, pourra lui paraître défaut d'ordonnance ou de clarté. " R.M.G.

Cette note ne sera reprise dans aucune des éditions suivantes.


(1) Finalement huit parties publiées en onze volumes.
(2) Gaston Gallimard l'était sans conteste.

Signé INTERIM


L'article publié dans les Nouvelles Littéraires du 16 mars 1940 est recensé par Hélène Baty-Delalande dans La première réception critique de l'Epilogue.

" La huitième et dernière partie, onzième livre des Thibault boucle magistralement la boucle... Jean-Paul ce symbole de la vie qui continue...donne non seulement à ce livre mais à l'oeuvre entière à laquelle M. Roger Martin du Gard met aujourd'hui le point final, un sens profond... Bien qu'Epilogue soit empreint d'une âpre tristesse, il ne s'en dégage jamais une impression de découragement... l'opportunité d'un tel livre, précisement dans la nouvelle épreuve que nous traversons, n'apparaîtra peut-être pas immédiatement à certains. " Interim.

La lecture que fait M. Interim de son Epilogue est du goût de RMG qui lui écrit une longue lettre de remerciements le 22 mars 1940 ( CG VIII).

vendredi 10 octobre 2008

Il y a 50 ans...




« Quel unisson dans l’éloge, ces articles déposés par les critiques sur la tombe de Roger Martin du Gard. De François Mauriac à André Rousseau on vit rarement le monde littéraire à ce point d’accord sur un homme. De celui-ci, ce n’aura pas été la moindre gloire que de forcer cette totale estime. »

Dans son numéro du samedi 30 août 1958 LE FIGARO LITTERAIRE n’est qu’un Hommage à l’écrivain des « Thibault ».

Priorité à son cadet de 20 ans en Nobel : « Mais aujourd’hui il n’y a rien à dire. Sinon que la seule existence de cet homme incomparable aidait à vivre, et que depuis samedi le monde est devenu un peu plus lourd à porter. » Albert Camus
Après avoir rappelé l’incident qui les opposa à propos des dernières paroles d’André Gide, François Mauriac revient sur NOTRE GUERRE DE RELIGION et confesse : « Ces lignes hâtives auraient irrité Roger Martin du Gard s’il avait pu les lire avant de mourir. Elles témoignent pourtant de cet attachement qui dépasse l’écrivain et l’œuvre et qui va à cette par de lui-même qu’il a peut-être méconnue, à cette âme que nous aimions et qui vient de lui être redemandée. »
Jean Schlumberger, le vieux compagnon, était présent au Tertre ce 22 août qui « espérait passionnément la guérison ; on espère avec autant de force que la mort fera hâte… »
Se souvenant de ses Dernières rencontres, Jean Delay ne cachait pas ses craintes : « Depuis plusieurs années la santé de Roger Martin du Gard inspirait à ses amis de graves inquiétudes. » On préférera retenir ce portrait « La solitude qu’imposait à Roger Martin du Gard l’exigence de son travail n’a pu être prise pour misanthropie que par ceux qui ne le connaissaient point. Il était au contraire très bon, sensible, généreux, profondément humain. »
L’estimant Esclave de sa seule noblesse, Jean Cocteau semble éprouver le besoin de se justifier : « Il est juste que je laisse descendre en premier ceux qui occupent les places à l’avant et que j’ai appris à aimer, à respecter, pendant le voyage. »
Sans les citer, on rappellera qu’ont également tenu à s’associer à cet hommage : Pierre Marois, Jacques Brenner, René Rembauville, Louis Martin-Chauffier, Emmanuel Buenzod, Pierre Do-Dinh, Claude Mahias, Pierre Herbart, Jean Rostand, Charles Vildrac, Georges Duhamel, André Brincourt, André Rousseau, P.V.

Choix de Correspondances





CORRESPONDANCE GENERALE

T. I 1896-1913 Edition présentée et établie par Maurice Rieneau avec la collaboration d’André Daspre et de Claude Sicard. Gallimard 1980

T. II 1914-1918 Edition présentée et établie par Maurice Rieneau avec la collaboration d’André Daspre et de Claude Sicard. Gallimard 1980

T. III 1919-1925 Edition établie et annotée par Jean-Claude Airal et Maurice Rieneau. Gallimard 1986

T. IV 1926—1929 Edition établie et annotée par Jean-Claude Airal et Maurice Rieneau. Gallimard 1987

T. V 1930-1932 Edition établie et annotée par Jean-Claude Airal et Maurice Rieneau. Gallimard 1988

T. VI 1933-1936 Edition établie et annotée par Pierre Bardel et Maurice Rieneau. Gallimard 1990

T. VII 1937-1939 Edition établie, présentée et annotée par Pierre Bardel et Maurice Rieuneau. Gallimard 1992

T. VIII 1940-1944 Edition établie, présentée et annotée par Bernard Duchatelet. Gallimard 1997.

T. IX 1945-1950 Edition établie, présentée et annotée par Bernard Duchatelet. Gallimard 2006

T. X 1951-1958 Edition établie, présentée et annotée par Bernard Duchatelet. Gallimard 2006


CORRESPONDANCES CROISEES

André Gide – Roger Martin du Gard
T. I 1913-1934 Editée par Jean Delay. Gallimard 1968
T. II 1935-1951 Editée par Jean Delay. Gallimard 1968

Jacques Copeau – Roger Martin du Gard
T. I 1913-1928 Texte établi et annoté par Claude Sicard. Introduction de Jean Delay. Gallimard 1972
T. II 1929-1949 Notes et index de Claude Sicard. Gallimard 1972

Clermont

" Je suis à Clermont, pour la première fois seul, le soir, à ma table, dans ma petite maison installée…je me suis offert ce luxe ; j’ai eu les quinze mille francs qu’il me fallait. Mais je serais un criminel si tant de facilité à vivre ne m’imposait pas de grands devoirs. " (Journal II mardi 12 octobre 1920). Son installation dans cette petite ville de l’Oise est un retour aux sources de son enfance propice à l’écriture de son " livre total " comme il le dit dans une lettre à sa femme, Hélène, le 17 mai. " Dans la pure tradition tolstoïenne " RMG va travailler aux premiers volumes de ses Thibault pendant quatre ans, solitaire, cloîtré dans « une étroite bicoque ».

Clermont de L’Oise s’associera à l’anniversaire de la mort de l’écrivain en organisant une journée commémorative le samedi 22 novembre. Si le programme n’est pas encore confirmé, notons déjà l’apposition d’une plaque sur la maison qu’occupa Roger Martin du Gard, une conférence de Charlotte Andrieux sur « les évocations de Clermont dans l‘œuvre de RMG » et une visite historique de la ville.

Légion d'Honneur

Lettre de remerciements adressée à Edouard Herriot.




















dimanche 5 octobre 2008

Les Thibault – Une longue histoire d’édition

18 ans. C’est précisément la période qui sépare la publication de la première partie des Thibault de la huitième et dernière partie :



  • I LE CAHIER GRIS 1922 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 790 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre.



  • II LE PENITENCIER 1922 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 790 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre.




  • III LA BELLE SAISON (2 volumes) 1923 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 842 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre.



  • IV LA CONSULTATION 1928 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 1248 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre.




  • V LA SORELLINA 1928 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 1248 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre.




  • VI LA MORT DU PERE 1929 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 1250 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre.




  • VII L’ETE 1914 (3 volumes) 1936 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 347 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre.




  • VIII L’EPILOGUE 1940 Hors impositions spéciales l’Edition Originale est constituée de 297 exemplaires sur vélin pur fil lafuma-navarre

Pour les lecteurs distraits est inséré dans les exemplaires de La Sorellina et de l'Epilogue un fascicule résumant les parties précédentes. Dans le premier cité, on peut y lire :

" Sixième partie : LA MORT DU PERE

Septième partie : L'APPAREILLAGE

Les titres des volumes suivants seront annoncés ultérieurement ".

De "L'APPAREILLAGE", on sait ce qu'il advînt suite à l'abandon définitif du plan initial en 1931.

samedi 4 octobre 2008

Neuilly-sur-Seine, 23 mars 1881 – Sérigny, 22 août 1958

Dans la brochure 2008 des célébrations nationales, Claude Sicard a rédigé la notice pour le cinquantenaire de la mort de Roger Martin du Gard.


Roger Martin du Gard, prix Nobel de littérature en 1937, affirmait à Roger Ikor, le 22 mai 1957 : « […] à tous les échelons, les petits d’hommes naissent dans une société où il est plus “rentable”, – comme ils disent –, de paraître que d’être, et c’est là, je crois, le grand principe de base qu’il importerait de saper… ». Le vieil écrivain ne découvrait certes pas en fin de vie cette alarmante vérité dont, cinquante ans plus tard, les progrès de la “médiatisation” aidant, nous percevons, en tous domaines, la perversité.
Il n’est pas exagéré de dire que, de son premier grand roman avorté, Une vie de saint (1906-1908) à sa dernière oeuvre inachevée, Le Lieutenant colonel de Maumort (publication posthume, 1983), Roger Martin du Gard n’a cessé de mesurer les risques de l’individu, corrompu par les compromissions et les bassesses, dévoré d’ambitions malsaines, menacé par le devenir collectif, guetté par les fatalités de l’Histoire et l’engrenage des fanatismes. Au sortir de
l’adolescence, l’écriture lui apparaît déjà comme l’unique moyen d’expression de ses refus : il ne fait pas table rase de son héritage mais, peu à peu, toutes les valeurs – psychologiques, idéologiques, littéraires, esthétiques – de son milieu (milieu aisé de gens de robe et de finance) et de son époque sont passées au crible de sa raison et de sa sensibilité. Dans ses oeuvres publiées, Devenir ! (1909), ironique bilan de sa jeunesse, Jean Barois (1913), reconstitution de l’Affaire Dreyfus et surtout hymne courageux aux lumières de l’esprit, Les Thibault (1922-1940), fresque familiale sur fond de drames intimes et de cataclysme européen, et même le drame d’Un taciturne (1931) dont le héros ne peut supporter son homosexualité, se pose toujours, primordiale, la question du bonheur de l’homme, dans la liberté de ses choix lucidement assumés : « J’ai le fétichisme du bonheur humain ; je ne serais pas éloigné d’en faire le but de la civilisation », écrivait-il encore à un ami à la fin de l’année 1957, en s’interrogeant sur l’avenir de ce bonheur tout relatif face au culte omniprésent du “rendement”…
Loin de “la foire sur la place”, l’écriture de Martin du Gard est celle d’un réfractaire, ramant à contre-courant non pour la défense d’une société caduque « indéfendable », comme il l’illustre dans ses féroces croquis de Vieille France (1933), mais bien pour engendrer une prise de conscience, dans « l’affranchissement » (c’était là le premier titre de Jean Barois) à l’égard de toutes les puissances aliénantes. « Il faut tâtonner longtemps avant de savoir qui l’on
est… », note Antoine dans l’Épilogue des Thibault, à l’intention de son neveu Jean-Paul, le fils posthume de Jacques, qui aura vingt-cinq ans en 1940, et dont le romancier pressent qu’il sera à son tour la proie « d’irréductibles passions idéologiques », dans « un déchaînement de sauvagerie concertée » (formules de son Journal, le 7 juillet 1957).




Cet homme qui, par deux fois en moins de trente ans, a vu s’écrouler dans l’anxiété insoutenable ses idéaux de paix, de justice et de liberté, n’a pourtant jamais pris son parti de l’absurde. Attentif à ne pas être dupe, des autres comme de lui-même, Roger Martin du Gard nous incite à résister aux mots d’ordre politiques comme aux miroirs chimériques des illusionnistes, à examiner sans préjugés ce qu’il lui arrive de nommer les « billevesées métaphysiques », dont il sait trop les ravages, sans cependant se départir de sa tolérance compréhensive : aucune thèse chez lui, aucun désir d’endoctrinement, mais le souci que chacun fasse le meilleur usage de son libre arbitre.
« Les étalages des libraires sont remplis de fausses valeurs, qu’on achète, qu’on se passe de main en main, qu’on discute comme si cela en valait la peine… », constatait-il, en un mélange de consternation et d’amusement, en 1952. À coup sûr, l’oeuvre qu’il nous a laissée, oeuvre de fiction [y compris deux savoureuses farces, Le Testament du Père Leleu (1914) et La Gonfle (1928)], Journal (trois volumes) et Correspondances (avec Gide, avec Copeau, avec Dabit, avec Duhamel… et 10 volumes de Correspondance générale) constitue une valeur forte qui, retombée l’écume des jours et des années, prendra l’une des premières places dans l’histoire du XXe siècle. Montherlant rendait hommage à la « dignité » de Martin du Gard « parmi les hommes de lettres français », Camus parlait de sa « bonté » et Malraux de sa « générosité ». Chacun à sa manière avait perçu l’authenticité, la qualité de ce frère humble et fier dans son intégrité qui, moins d’un an avant de mourir, pouvait affirmer : « à distance, avec le recul, (et avec l’approbation des esprits sages, insensibles aux modes), finalement je ne regrette rien… », et qui écrira à André Malraux, en juillet 1958 – ce fut l’une de ses ultimes lettres –, après avoir protesté publiquement contre la saisie du livre d’Henri Alleg sur la torture en Algérie : « Ma signature, elle vaut ce qu’elle vaut, mais elle n’a pas été galvaudée. »

Claude Sicard
professeur honoraire à l’université
de Toulouse – Le Mirail