samedi 14 mai 2011

Roger Martin du Gard et Marc Allégret

Très belle vente d'Autographes & Manuscrits et de Livres anciens & Modernes à l' Hôtel Drouot-Richelieu mardi 17 mai 2011 (Pierre Bergé & associés).

Lot 143 :

Vingt-sept lettres autographes signées « Roger Martin du Gard » ou « R.M.G. », environ 47 pages in-8 : Nice, Antibes, Figeac, Roquefort, 1er octobre 1943/14 juin 1945.

Emouvante et intéressante correspondance relative à la grave maladie mettant en péril la vie de Nadine, femme de Marc Allégret, et à « l’universelle détresse » dans laquelle la guerre plonge la France.

Tout au long de ces missives, l’écrivain s’inquiète pour la santé de l’actrice Nadine Vogel (1917-1993), compagne du metteur en scène Marc Allégret. Le couple avait confié son enfant en bas âge à Madame Nolde, réfugiée dans le Lot pendant la guerre, et ce n’est que par elle que RGM parvient à obtenir des nouvelles de la malade dont les hauts et les bas lui inspirent les plus vives inquiétudes. « .... Chère Madame...Vous êtes notre seule source... Marc nous a dit, à son passage, que certains cas de ce genre avaient duré 8 à 10 mois avant d’aboutir à la guérison... Je suis confus de vous relancer ainsi... Je trouve tout naturel aussi que Marc ne puisse pas nous tenir régulièrement au courant, mais c’est bienp pénible de rester si longtemps sans rien savoir... ». « ... Marc m’ écrit que le Poussin (sa fille Danielle) est en bonne santé et profite au maximum de sa cure paysanne. Quelle sécurité pour eux de savoir la petite avec vous... Pauvre Marc, qui assiste, lucide et impuissant, à cet interminable débat contre la mort... C’est un grand repos d’esprit pour lui, et une grande consolation pour Nadine, de savoir le Poussin en si bonnes mains ! Ils sont,l’un et l’autre, obsédés par le rêve d’aller vous rejoindre un jour... ».

A Nice, de « ... formidables fortifications se dressent tout le long de la mer, c’est un mur continu, un travail de géants !... Ici la vie devient plus difficile chaque jour. Ne regrettez pas la somptueuse demeure de l’Horizon... devenue une succursale de l’enfer... Quelle sinistre époque...De quelque côté qu’on se tourne, on ne voit que des souffrances... ».

La presse évoque les menaces d’évacuation massive : « ... Beaucoup de gens sont pris de panique, et filent. C’est, je crois, le but réel de cette campagne énervante. J’ai peine à imaginer que l’on songe à évacuer de force des villes comme Marseille, Toulon, Cannes ou Nice... Mais on veut certainement... diminuer la densité de la population ; ce qui, au cours des événements éventuels, faciliterait le ravitaillement, le maintien de l’ordre, et les opérations militaires. Possible aussi qu’on souhaite récupérer beaucoup de locaux vides, pour y héberger les populations allemandes bombardées... Abandonner, en ce moment, tout ce qu’on possède ici, papiers, livres, provisions, stocks de pommes de terre, pour partir à l’aventure avec un sac au dos, serait une catastrophe... ».

Pourtant, lui et son épouse se réfugieront bientôt auprès de leur fille à Figeac, avant de louer un château délabré à quatorze kilomètres de la ville, expérience éprouvante : « ... on patauge dans le purin et les canards se soulagent dans le vestibule... nous avons du lait, et la cuisine en est transformée... Mais c’est l’ isolement total... un paradis « perdu »... Quel sale climat... et je suis déjà perclus de rhumatismes... ».

Apprenant qu’on bombarde Nice, il se dit tout honteux d’être parmi les privilégiés quand tant d’amis sont exposés, et s’inquiète pour le sort de ses livres, « ... un précieux instrument de travail qui me serait supprimé. D’autant que j’ai là-bas beaucoup de notes auxquelles je tiens... ».

Ce n’est qu’en décembre 1944, après deux mois de démarches, que l’écrivain quitte enfin le Lot, « ... ce pays hostile, cette population revêche, ce climat atroce, ce déluge continuel... », pour s’en retourner à Nice où, malgré les difficultés de tous ordres et les prodigieux événements se succédant à un rythme vertigineux, il peut à nouveau travailler tranquille et s’assurer un minimum d’équilibre.