Autour d'André Gide assis, de gauche à droite : Jean Schlumberger, Jacques Rivière et Roger Martin du Gard. 2ème Décade (14-24 août 1922) : Miroir de l'honneur ; culture de la fierté par la fiction.
Dans l’excellent Paul Desjardins et les Décades de Pontigny1, Jean Schlumberger conclut sa contribution2 par un portrait de Roger Martin du Gard qu’il me plaît de citer :
« Mon propos n’est pas d’établir, parmi les anciens de la N.R.F., un palmarès d’assiduité ni des certificats d’attachement à Pontigny ; je crois pourtant que sur deux plans, celui du zèle et celui du cœur, c’est bien à Roger Martin du Gard que serait revenu le prix d’excellence. (Bien qu’il ne fût pas en titre un des fondateurs de la revue et qu’il n’y ait même jamais collaboré, je le revendique comme un des membres authentiques du premier groupe.)
Dès sa première apparition à Pontigny, il avait posé en principe qu’il n’était pas un de ces intellectuels bien parlants, qui trouvent des choses ingénieuses à dire sur n’importe quoi. Il écouterait avec profit ces messieurs rivaliser d’érudition, de citations, d’entraînement aux subtilités philosophiques, mais on ne devrait pas compter sur lui pour prendre part à ces tournois ; il resterait un auditeur muet. Cette gageure il l’a tenue avec un entêtement granitique. D’autres que lui, que le ciel n’a pas doué de volubilité verbale, auraient eu le goût de partager son confortable silence, mais les conducteurs d’entretiens parvenaient toujours à les en débusquer, tandis que toutes les ruses, tous les pièges tendus ne son pas arrivés, en vingt ans, à tirer de Roger Martin du Gard fût-ce une exclamation. Or malgré ce mutisme de parade on peut, je crois, dire que personne n’a exercé plus de rayonnement dans les conversations privées, personne ne s’est plus intéressé aux jeunes, n’a plus encouragé les débutants.
L’immense correspondance qu’il a laissée montre non seulement la curiosité, mais les disponibilités de sympathie qu’il avait pour les êtres. Il a eu beau, pendant les dernières années, vivre dans la retraite, il ne désertait pas ses amitiés. Nous le savions, mais quand il a disparu, voici juste un an, chacun s’est aperçu avec étonnement combien le vide qui venait de s’ouvrir était plus large et profond qu’il ne s’y serait attendu, combien nous comptions instinctivement sur lui, sur ses conseils, combien par son œuvre dont les snobs prétendent qu’elle n’apporte plus rien, il aidait à maintenir la notion que la littérature est quelque chose en soi, quelque chose qui se continue, qui dure, et non pas, comme on nous le prêche, une activité utilitaire, sans signification au-delà de l’instant présent. »
1 Etudes, témoignages et documents inédits présentés par Anne Heurgon-Desjardins, PUF 1964.
2 " Pontigny et la Nouvelle Revue Française ". Ibid, p. 160-168.
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