Les 3 volumes du Journal de RMG,
établis et annotés par le Pr Claude Sicard, et parus en 1992 et 1993 furent
déterminants pour l’entreprise de cette thèse. Ils révélaient en effet de
nombreux « secrets de fabrication » d’une œuvre imposante, mais
généralement considérée comme héritière d’une esthétique romanesque traditionnelle,
voire traditionaliste. On voulut voir en
Martin du Gard un héritier du roman balzacien, voire du naturalisme de
Zola !
L’objectif
premier de cette thèse fut donc d’examiner attentivement l’œuvre globale de RMG
(romans, nouvelles et théâtre) à la lueur d’un examen approfondi des notes,
lettres et commentaires contenus dans ce Journal,
qui s’étend sur plus de cinquante années et révèle la précocité des ambitions
littéraires du futur Prix Nobel. Il s’agissait en fait d’aboutir à la
démonstration que l’écriture de fiction, telle que RMG l’a mise en pratique,
était d’une étonnante modernité, quand bien même, à l’époque de Maumort, l’auteur restait persuadé du contraire, se
sentant dépassé par la nouvelle génération, celle de Sartre, Malraux, Camus…
Dans
une première partie, intitulée « Une esthétique conservatrice », l’objet fut de montrer à quel
point le jeune Martin du Gard pouvait encore être soumis à la pesanteur de la
tradition, à la fois classique, réaliste et quasi naturaliste (notamment dans
un roman non publié « Maryse »)
et combien, néanmoins, il s’acharna à renouveler l’écriture romanesque à travers
le « procédé » du récit dialogué, tenté dans « Une vie de saint » et
concrétisé par le premier roman publié à
compte d’éditeur, voici un siècle, Jean
Barois, sans jamais perdre de vue son ambition capitale : décrire la
vie, ses secrets, ses bas-fonds. Cette ambition fut et resta la constante dans
les projets littéraires de RMG, Maumort
y compris. Après Jean Barois, elle ramena, en apparence, Martin du Gard à une
écriture d’un grand classicisme, du moins pour l’œuvre magistrale, Les Thibault, ainsi que pour ce qui eût
pu, achevé, être le couronnement d’une vie de créateur, Maumort.
Aussi,
la seconde partie (« Le Journal et la nouvelle image de Martin du
Gard ») s’éloignant des œuvres
de fiction, opère une plongée dans le laboratoire polyphonique que représente,
en grande partie, le Journal, puisque sont rassemblées dans ces volumes non
seulement les notes personnelles de RMG et plusieurs analyses autobiographiques
– notamment les aléas de la vie privée - mais aussi de nombreuses correspondances , souvent
croisées, avec les plus proches amis du romancier, que furent, jusqu’en 1914,
Marcel de Coppet, Gustave Valmont, et Pierre Margaritis, et, après 1918, Coppet, presque
exclusivement.
Ces
correspondances révèlent de nombreux échanges d’idées entre RMG et ses consultants,
qu’il s’agisse d’esthétique littéraire ou d’éthique : elles ont donc été
longuement étudiées et analysées. Enfin, le Journal
servit aussi de banc d’essai au
romancier : il s’y essayait à l’art du portrait, prenant pour modèles
certains proches ou certains confrères, ce qui aida hautement RMG à cultiver
une incontestable « vis comica » qui affleure régulièrement dans les
œuvres de fiction, à travers des personnages qui viennent momentanément
interrompre le tissu narratif souvent proche du tragique et détendre le lecteur
(ainsi M. Chasles, secrétaire du Père Thibault, et le pasteur Gregory). Ces
personnages « secondaires » représentent des « cas » qui,
bien souvent, permettent de rejoindre l’être profond de chaque protagoniste. Il s’agit de « simples » qui sont en
fait des « sages », diseurs de vérités.
Martin
du Gard, qui s’est beaucoup intéressé à la psychiatrie, aimait se livrer à des « études de
cas ». Cette alliance de la
recherche de l’a-normal à décrire, et de l’extrême soin porté à l’écriture
narrative (romanesque ou dramaturgique)
nous a paru la clé de la modernité martinienne, car complètement
différente du naturalisme « classique » où la description crue des cas sociaux ou
physiques était l’objet même du récit. Il n’en va pas de même chez Martin du
Gard, très curieux des êtres, toujours prêt à comprendre et à
« compatir », au sens étymologique du terme. Ce
« néo-naturalisme » très novateur
affleure partout, et pas seulement dans Les Thibault. Le théâtre, les nouvelles, et
l’inclassable Maumort achèvent d’illustrer cette esthétique très
particulière, qui n’est jamais bien loin d’une éthique, propre à Martin du Gard
et qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec une quelconque
« morale ».
C’est
ainsi que la troisième partie (Martin du Gard, novateur et chercheur) a
cherché à montrer qu’à travers différents genres littéraires – RMG a toujours voulu
creuser au plus profond de la psychologie humaine, sans hésiter à plonger dans
l’irrationnel, le pathologique, le
« hors-normes ». Le théâtre, la nouvelle, et cette vraie-fausse
autobiographie, à la forme et au genre inclassables, qu’est Maumort confirment aisément ce qui fut
presque l’idée fixe de Martin du Gard. Un Taciturne se voulait une étude de
psychologie sexuelle ; des nouvelles peu connues comme Confidence Africaine, et le Genre Motus (restée inédite) ainsi que nombre d’esquisses amorcées dans le Journal abordent différentes formes de
déviances physiques ou mentales, sans qu’il soit jamais possible de cataloguer
ces textes comme purement « naturalistes.
L’art
de Martin du Gard s’exprima au mieux, et bien que l’auteur fût persuadé du
contraire, dans Maumort, œuvre certes
inachevée, mais qui, contrairement aux Thibault,
secoue la passivité du lecteur, l’emmène ici et là dans le sillage des
fantasmes, désirs et vies « officielles » de personnages très
différents , par les points de vue d’un narrateur/personnage certes unique,
mais apte à reconstituer les pensées et obsessions de l’adolescent qu’il
fut…alors que le narrateur est septuagénaire.
Œuvre unique en son genre, Maumort
comporte en son propre sein quelque micro-nouvelles aux thématiques très
hardies et mérite d’être considéré comme un remarquable point d’orgue à une
œuvre littéraire considérable et bien plus « moderne, y compris en 2013,
qu’on pourrait le croire.
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